Ecriture Libre 12/2021

Il y a des jours comme ça, comme aujourd’hui où j’ai moi-même du mal à contrôler les enchainements de ma pensée.

Donc aujourd’hui, dans ma voiture, je me suis soudain rappelée de mes élèves sud-africains novices en français. Oui ! je sais qu’on s’était promis en 3ème de ne jamais être profs, mais j’ai tenu toutes mes autres promesses et il fallait bien que je mange ! Soyez indulgents !

Donc je me suis souvenue de leur perplexité face à la complexité de l’utilisation de l’expression « ça va ». Deux petits mots, qui servent de question et de réponse à la fois et dont on pourrait faire un dialogue digne des Monty Python. Je leur ai donc répondu que ces deux petits mots en disaient généralement plus qu’un très long discours (comme celui que je vais vous pondre et que seuls les plus courageux liront jusqu’au bout !) et que c’était surtout à l’oral que la différence se faisait, toute la subtilité étant dans l’intonation de la voix.

Ça vous intéresse ? Je vous raconte ? Merci c’est gentil ! Allez c’est parti avec une liste non-exhaustive !

« ça va ? » : C’est le neutre, le banal, le facile. C’est la question de politesse, la question passe-partout, celle qu’on dit parce qu’on a reçu un minimum d’éducation et celle qui débute la plupart de nos conversations.

Réponse 1 : « ça va » dit sur un même ton neutre. C’est celui qu’on sort par automatisme sans réfléchir à sa véritable signification. Si ce « ça va » n’est pas suivi par un « et toi/vous ? », la personne vous zappe clairement, ne soyez pas maso, lâchez l’affaire et changez d’amis ou de job !

Réponse 2 : « ça va » avec une pointe de lassitude dans la voix, souvent accompagné d’un soupir. Là vous êtes clairement au bout de votre vie mais vous n’avez pas envie de vous étendre sur le sujet. Un peu comme ma copine Karin quand, à la fin de sa journée, elle avoue faire un burn-out à cause de ses chats.

Réponse 3 : « ça va » avec une légère tension dans la voix et dans la mâchoire. On retrouve celui-là, en règle générale dans les cabinets médicaux, quand votre gynéco vous examine l’entrejambe avec un appareil de torture datant de 1834 et que personne n’a pensé à moderniser à une époque où Thomas Pesquet est capable de nous envoyer une photo du moindre petit grain de sable de la dune du Pilat depuis l’espace. Ahhh ça laisse rêveur le progrès ! (Bon là j’ai clairement perdu le peu de lecteurs masculins qui restaient encore dans la salle)

Réponse 4 : « ça va... » accompagné d’un sourire forcé, du rouge qui monte aux joues et d’un soupçon de larmes dans les yeux. C’est celui qu’on va dire après s’être royalement vautré en place publique en essayant de rattraper ce foutu bus avec ces nouvelles foutues bottes, ou celui que certains ont pu entendre sortir de la bouche d’Amanda, une journée d’automne, entre deux poteaux de l’école d’Archi. Non, évidemment ça ne va pas !!! Pourquoi tu poses la question ???

Et puis il y a les autres « ça va » qui ne rentrent pas dans la dualité question/réponse :

« ça va ? » sur un ton très ironique, très fréquemment suivi par un « fais comme chez toi ! » J’ai surtout rencontré celui-là chez mon frangin Alex alors que je piquais une frite dans son assiette (Alex a une relation très particulière à la nourriture et ce n’est pas le sujet de ce message, mais on peut en parler une autre fois si ça vous intéresse).

« ça va ! » généralement dit sur un ton joyeux mais un chouïa agacé et généralement précédé par un « Oh ! ». C’est celui que préfèrent mes bichettes Sounia et Cécile et qui veut dire : « lâche moi la grappe ! J’ai pas besoin de tes sermons ! Arrête avec tes sarcasmes ! ».

« ça va ! » sur un ton clairement agacé. Je dirais que celui-là est majoritairement féminin. A tous ceux qui lisent encore ce pavé, si vous l’entendez quand vous rentrez de faire la bringue avec vos potes/voyage d’affaires/autre excuse à la con pour ne pas être à la maison pendant qu’elle gère tout le reste de votre vie, et que vous la trouvez en train de faire des tâches ménagères, ça veut dire « ça ne va pas du tout en fait ! Et tu vas prendre cher ! ». Faites-vous discrets les gars, vraiment, car la tempête va clairement vous péter à la gueule ! Ne me remerciez pas, c’est gratuit !

Et puis il y a eu le petit « ça va » de ce matin. Celui que m’ont dit mes enfants sur la route du collège après les avoir pris dans mes bras et embrassés pour leur donner de la force lors leurs bilans trimestriels. Dans le « ça va » de ce matin, j’ai entendu un « j’ai un peu peur, je suis stressé, mais tu es là pour m’accompagner donc ça va aller ». 

Alors forcément, sur le chemin du retour, seule dans la voiture, en me disant « ça va » pour ne pas trop m’inquiéter pour eux (je sais qu’ils sont ados mais je suis une maman Koala, je n’y peux rien), je me suis souvenue de ma leçon sur l’intonation à mes étudiants sud-africains novices en français. 

La prochaine fois que vous demanderez à quelqu’un « ça va ? » pensez bien à être attentif à l’intonation sur laquelle la réponse vous sera donnée. Ça peut changer le cours d’une journée.

Sinon, vous ? Ça va ?